Alors que les progrès de la chirurgie permettent de rendre un sein à une femme, on pourrait s’attendre à autant de reconstructions que de mastectomies. Il n’en est rien, car la reconstruction met en cause bien autre chose que la seule réparation physique.
Malgré de réels progrès techniques, seulement 40% des patientes choisissent la reconstruction après une mastectomie. Beaucoup s’en étonnent. Pourtant le choix n’est pas simple.
Les questions se bousculent : aspect du nouveau sein, sensibilité, choix de la technique chirurgicale, craintes liées à
une nouvelle intervention. Un grand espoir est mis dans la rencontre d’une femme « comme moi », montrant combien
la traversée de cette expérience inquiète. Le traumatisme psychologique infligé par le diagnostic de cancer aggravé par la mastectomie peut expliquer l’angoisse des patientes face à un choix qui concerne aussi directement leur image d’elles-mêmes.
C’est que la reconstruction doit en fait réparer une double blessure, la perte visible du sein opéré et l’effraction non moins douloureuse infligée par le diagnostic de cancer et les traitements. Blessures qui fragilisent toutes les patientes au moment où devra se prendre la décision de se faire reconstruire
le sein.
Un choix personnel et difficile
C’est pourquoi un temps d’élaboration du traumatisme est indispensable, la reconstruction restera toujours un choix
difficile et personnel. Lors du diagnostic de cancer du sein toute femme ressent ce qui est une trahison de son propre
corps, la perte de son sein peut évoquer la peur, plus difficile à exprimer, de celle de la vie.
Le cancer s’inscrit dans une histoire qui facilitera ou non l’acceptation de la perte et donc celle de la reconstruction. Pour accepter la reconstruction il faut avoir élaboré la perte.
Elle doit être proposée à toute femme subissant une mastectomie, et sans exigences financières excessives. Proposée, mais, me semble-t-il, pas discutée lors de la consultation d’annonce, pour permettre l’élaboration décrite plus haut.
Elle demande aux patientes de faire un choix presque toujours angoissant : rester avec une prothèse externe ou se faire refaire un sein. Ensuite vient le choix entre différentes techniques, imaginer le sein reconstruit, comment sera-t-il ?
consistance, apparence, sensibilité ? Il ne s’agit pas d’une chirurgie simple, il faut souvent plusieurs interventions.
Enfin pour les femmes actives cela veut dire un nouvel arrêt de travail et des sacrifices matériels que toutes ne peuvent
ou ne veulent pas faire. Une place à part doit être faite aux mastectomies pour petits cancers in situ, très difficiles à admettre. La reconstruction immédiate est légitime, mais l’écart entre l’importance du geste et une pathologie peu
grave crée une situation complexe. Enfin il ne faut pas oublier les femmes pour qui la reconstruction est laconditionpour accepter la mastectomie.
Dans tous les cas la décision de se faire ou non refaire le sein impose un choix angoissant. Il oblige la femme à décider pourquoi elle veut se faire réparer, le prix qu’elle accorde à son image.
L’acceptation de la reconstruction va bien au-delà de celle des propositions du chirurgien, elle implique celle d’une
réparation de l’image interne de soi, une forme de réconciliation avec soi même.
Certaines femmes seront aussi satisfaites d’une autre acceptation, celle de leur cicatrice. Encore une fois c’est un
choix strictement personnel.
La relation avec l’autre mise à nu
L’attitude du partenaire compte bien sûr, surtout s’il sait laisser - avec sa propre sensibilité, sa possibilité de s’identifier à l’autre - sa liberté à sa compagne. Certaines ne vont pas mieux supporter « je t’aime comme tu es » ou « choisis
c’est ton corps » si sincères que soient ces phrases. Tout dépend de la communication dans le couple et cela bien avant le cancer. Le traumatisme du cancer met à nu, pour le pire mais aussi pour le meilleur, on ne le dit pas assez, la relation avec l’autre. Le choix de la reconstruction peut être alors le signe que la femme se permet, pour elle comme pour son compagnon, de réparer son image.
Un univers d’angoisse et d’espoir
La qualité de la relation avec le chirurgien est capitale, confiance assortie du respect du temps psychique nécessaire à
chacune. Ici plus qu’ailleurs il faut proposer sans imposer. La tolérance du chirurgien aux questions répétées, à
l’angoisse, permet entre lui et sa patiente, une alliance thérapeutique nécessaire à faciliter une décision. Celle-ci peut être immédiate ou demander des mois voire des années, témoignant de l’importance du temps psychique nécessaire
à l’acceptation de la reconstruction et différent pour chacune.
L’appropriation par chacune du sein refait comme son propre sein demandera aussi un temps variable fonction de la
structure et de l’histoire psychologique de chacune.
Il y a dans la chirurgie de « reconstruction » un univers de représentations, d’angoisses mais aussi d’espoir et de restauration de l’image du corps blessé par le cancer qui en font la difficulté mais aussi la grande richesse.
Nicole Alby, psychologue
RÉFLEXIONS DE FEMMES
«L’acceptation du nouveau sein ne va pas de soi. Il n’efface pas la déception de la perte du premier »
«J’ai récemment lu dans un article que les greffés ont droit à un accompagnement psychologique afin d’accepter le corps étranger. Mais une prothèse mammaire, n’est-ce pas un corps étranger ? »
« Au départ, j’avais l’impression que ce sein ne m’appartenait pas. J’étais toujours prête à le montrer comme on montreun dessin de ses enfants… »
« La reconstruction… pourquoi employer un terme emprunté au bâtiment ?
Une femme n’est pas un building, que je sache ! »
« La reconstruction c’est différent d’avoir envie de se faire refaire les seins.
Alors pourquoi est-on dans le même service à l’hôpital ? Pourquoi est-on considéré de la même façon ? »
« Je ne suis pas complètement satisfaite du résultat... « C’est tout de même mieux qu’avec la cicatrice » m’a répondu finement le chirurgien. Vu sous cet angle… évidemment ! »
« Le nouveau sein n’est jamais comme l’ancien... il est souvent mieux, mais ce n’est pas vraiment le vôtre. Il faut du temps pour l’adopter. »
« Pour moi la reconstruction était le point final au traitement que j’avais subi, mon passeport pour une vie nouvelle. Je m’aperçois avec le recul que c’était certainement nécessaire mais… pas suffisant ! »
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Avec le patronage du Ministère de la Santé, de la Ligue nationale contre le cancer et de l’Institut National du Cancer